Petite géographie de la mission parmi les personnes d’autres religions
Parmi les neuf thèmes étudiés dans les groupes lors de la conférence d’Edimbourg, du 2 au 6 juin 2010, celui consacré à la «Mission chrétienne parmi les personnes d’autres religions » a rencontré un succès certain. La pluralité religieuse de notre monde peut susciter curiosité et désir de rencontre, mais aussi des tensions. La question posée était : « Comment être à la fois de bons voisins et de fidèles témoins du Christ » ? Voici un petit tour du monde en compagnie des personnes que nous avons rencontrées.
Asie
« En Chine, dit la pasteur Ying Gao, l’évangélisation est très dynamique. Mais beaucoup de chrétiens ont des idées exclusives par rapport aux autres religions ». Il y a cinq groupes religieux reconnus (bouddhistes, taoïste, musulmans, catholiques et protestants), qui en fait ne se rencontrent pas. La priorité est donc de donner place à un christianisme plus inclusif : « Se faire des amis » avec de personnes d’autres religions, avec d’agnostiques (qui, en Chine, sont la majorité). Puis le deuxième défi est la question de l’interprétation de la Bible : comment comprendre les Ecritures sur la question du dialogue, alors que certains refusent même d’utiliser ce mot entre chrétiens.
L’évêque Mano Rumalsah, de l’Eglise du Pakistan, constate que nous parlons différemment si nous sommes dans la majorité ou la minorité. La mission a un autre sens dans un contexte de minorité. Pour lui, la question la plus importante est celle de l’engagement conscient de chrétien dans un contexte islamique. Il faut savoir qui je suis et qui est l’autre. Puis chercher des bases communes, en commençant par se mettre au service de l’autre. C’est le modèle divin, choisi par Dieu en Jésus : la diaconie conduit à une relation et au témoignage. Il n’y a pas d’autre chemin pour la mission. « La conversion est une question très personnelle : je serais insulté si on critiquait mon grand-père qui a fait le pas de devenir chrétien. Un engagement chrétien conscient peut coûter cher ».
Pour Philip Tye-Yau Siew, professeur dans un séminaire protestant en Malaisie, la question la plus importante dans son contexte conflictuel est de comprendre la mission comme réconciliation, le cœur de la foi chrétienne. « Dans mon contexte des privilèges sont donnés à des groupes particuliers. Les minorités éprouvent alors du ressentiment. En parlant de justice et de réconciliation, nous sommes confrontés à la croix ». La clé, c’est d’avoir une humble confiance dans la Croix et la victoire du Christ : « L’occident a perdu la confiance en la force du message de l’Evangile....pour éviter toute forme de conflit ».
Pour Marina Behara, professeur au United Theological College, Bangalore, en Inde, la priorité est de vivre en solidarité avec les pauvres et les marginalisés, s’engager pour la justice. Elle estime qu’on ne doit pas parler de mission auprès de personnes de fois différentes, mais de mission en solidarité avec elles.
Europe
Le pasteur Andrew Kirk, du Royaume uni, se demande quel est le sens de la foi dans un contexte sécularisé. Chacun a une vision du monde, des présupposés sur l’origine, l’identité, le sens, le but de la vie. Egalement les personnes qui n’ont pas de « foi religieuse ». En fait le « sécularisme » est une sorte de nouvelle religion.
Pour l’Evêque Heinrich Bolleter, de l’Eglise méthodiste en Suisse, la mission parmi les personnes une autre religion touche à la question : qui est Jésus-Christ ? « Or le Christ m’enseigne à respecter chacun, dans sa dignité. Cela signifie dialogue ; si je ne rencontre pas l’autre, alors la peur peut surgir en moi ».
Antoine Arjakovsky, français orthodoxe vivant en Ukraine, avance le concept de « démocratie spirituelle ». Comment travailler ensemble, en respectant le noyau spirituel de la démocratie ? Ce qui est urgent est de travailler à la formation au dialogue. Cela manque dans les Eglises. De même dans les écoles et les universités, il faut introduire une formation sur les différentes religions de manière œcuménique et interreligieuse.
Knud Jorgensen, du Danemark, considère l’unicité de Jésus-Christ comme la question clé. Il veut s’engager pour rassembler des théologiens de tous les contextes sur le sens de cette unicité, sans être triomphaliste.
Ulrike Schmidt, responsable d’une œuvre missionnaire de l’Eglise protestante en Allemagne se demande comment rendre compte de son espérance dans un monde pluraliste. Pour elle, il est tout à fait possible à la fois de témoigner du Christ et d’être ouvert aux personnes d’autres religions. Elle rencontre de nombreux chrétiens du sud, qui ont le courage de témoigner du Christ. Et ces rencontres lui donnent courage et compassion. « Que pouvons-nous partager ? Jésus est venu pour que nous ayons la vie, nous avons à travailler ensemble pour la justice et la paix. J’ai fait beaucoup de bonnes expériences. Quand on sert ensemble, nous entrons en dialogue et nous témoignons de Celui qui nous fait vivre ».
Afrique
Hesdie Zamuel, de Tanzanie estime que l’évangélisation s’adresse à tous. C’est l’Esprit saint qui la permet. Mais quand il pense aux non-chrétiens, il commence par les considérer comme des personnes créées à l’image de Dieu. Su cette base, nous pouvons nous adresser à tous. « Si l’être humain est créé à l’image de Dieu, cela signifie que je dois prendre soin de chacun ».
John Azuma, qui vient également de l’Afrique de l’est, souligne le rôle de l’Esprit saint, qui donne le courage de témoigner de sa foi, comme il l’a donné aux premiers chrétiens, qui vivaient dans un environnement hostile à la foi : « Je dois d’abord être enraciné dans ma foi. Le défi est comment comprendre les affirmations de Jésus comme « Je suis le chemin, la vérité et la vie » et « Il n’y a pas d’autre nom sur terre »...C’était devant une audience très hostile que Pierre a dit cette parole ».
Jan Lenssen, prêtre catholique belge vivant au Congo souligne l’importance de la rencontre : « Je ne parle pas de dialogue, mais de rencontre. Nous avons à rencontrer les personnes. Les écouter d’abord, là où nous vivons. C’est le premier thème de la mission aujourd’hui »
Amérique
Ronald Wallace, de l’Eglise Presbytérienne du Canada : « Nous devons nous attendre à ce que le témoignage de notre vie quotidienne provoque la curiosité. Une personne peut dire : je désire appartenir à Jésus-Christ. Nous ne devons pas être embarrassés. La conversion est l’œuvre du Saint Esprit, pas la nôtre ». Il rappelle que le terme conversion doit être thématisé et que le Conseil œcuménique des Eglises, l’Alliance évangélique mondiale et le Vatican travaillent à un code soulignant l’importance du respect pour la personne et le refus de tout prosélytisme.
Doug Birdsall, professeur à l’université Gordon-Conwell, Etats-Unis, dit qu’en 1910, beaucoup pensaient que les autres religions collapseraient dans la rencontre avec le christianisme. Mais c’est le contraire qui est arrivé. Dans son contexte, il y a aujourd’hui un réveil d’énergie dans les autres religions et une perte des racines chrétiennes : « L’université où ma fille étudie fut fondée pour former des pasteurs au 17e siècle. Mais aujourd’hui, elle fait tout son possible pour effacer toute trace chrétienne. Cela crée un vide spirituel qui est rempli par les autres religions. En fait ce sont surtout les chrétiens d’Asie et d’Afrique qui y apportent un témoignage chrétien ».
Encadré
1910-2010 : Quelques statistiques sur le christianisme et les autres religions
En 1910, 66% des chrétiens se trouvaient dans le Nord.
Aujourd’hui, 25 % des chrétiens sont européens, 12 % nord américains ; 66% vivent dans le sud.
Mais 83% des ressources sont dans le Nord (alors qu’il représente moins de 40% des chrétiens)
En 1910 80% des chrétiens vivaient dans des pays où 90% des personnes étaient chrétiennes.
En 2010 86 % des non chrétiens n’ont jamais connu un chrétien et représentent 70 % de l’humanité.
L’Asie a 8% de chrétiens.
Malgré le mouvement œcuménique, le monde chrétien connait une grande fragmentation : 41'000 dénominations !
En 2010, 27% des chrétiens sont revivalistes (pentecôtistes, charismatiques, néo-charismatiques).
Le monde actuel est moins religieux qu’en 1910, mais plus religieux qu’avant la chute du communisme. On compte actuellement 8% d’agnostiques, alors qu’il y en avait 15% en 1970.
Partout, on assiste à une montée de la diversité religieuse. La Chine est le pays où elle est la plus grande.
Chiffres tirés de l’Atlas of Global Christianity. Edinburgh University Press, 2010.
Site internet de la conférence Edimbourg 2010
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